Le point commun, cest Edwige Lemoine. Son nom ne vous est sans doute pas familier et pourtant vous connaissez certainement sa voix. Et pour cause : elle est comédienne de doublage. Si participer à cette sorte de « karaoké parlant » peut sembler facile au premier abord, il nen est rien : être comédien de doublage, ça ne simprovise pas ! Il faut être à même de lire ses répliques à mesure quelles défilent, tout en suivant laction sur lécran. « Le plus difficile est de bien coller à lacteur, sur lécran, explique Hedwige Lemoine. Il faut être synchro avec ses lèvres, et adopter son rythme de jeu, ce qui nest pas facile étant donné que lon doit mettre de côté son propre style. Cest un peu ingrat, après tout ! » Sil peut être difficile de faire passer une émotion en jouant une scène, on peut imaginer que la difficulté est dautant plus grande lorsquil sagit de recréer cette émotion en étant totalement coupé du contexte et qui plus est avec sa voix pour seul instrument. Voilà pourquoi les personnes qui prêtent leurs voix à nos chers héros sont avant tout des comédiens, choisis par les chaînes à lissue d'un casting.
Ce "métier de l'ombre" reste néanmoins à bien des égards particulièrement ingrat. Ainsi, il a fallu attendre 1995 et lorganisation dune grève pour que les noms des comédiens de doublage soient indiqués aux génériques des séries dont ils font le succès. Dautre part, les salaires perçus par les voix françaises n'ont rien de comparable avec ceux des acteurs qu'ils doublent. On se souvient du remplacement de trois des six voix de Friends après que ceux-ci aient demandé une augmentation compte tenu des cachets astronomiques perçus par les acteurs américains (environ 1 million de dollars). Pour autant, les voix françaises constituent des identités fortes que les chaînes nont en aucun cas intérêt de changer. Même si les versions françaises font régulièrement lobjet de vives critiques de la part de fervents défenseurs de la VO, il nen reste pas moins que le doublage français est souvent considéré comme le meilleur du monde. Il faut dire quil existe en France une véritable culture du doublage. Car même si la tendance est à la généralisation de la version multilingue, les chaînes hertziennes restent fortement marquées par une tradition de diffusion en VF, à la différence dautres pays comme lAngleterre qui ont très peu recours au doublage. Le rapport Claude Thélot de lEducation Nationale semblait vouloir remettre en cause cette hégémonie en prévoyant purement et simplement l'abolition du doublage à la télévision en estimant que cette « simple mesure permettrait de faire progresser [la maîtrise de l'anglais] beaucoup plus vite que ne le peut lEcole seule. » Mais il semblerait que cette mesure très radicale ne soit plus guère dactualité. La qualité du doublage français tient également au savoir-faire des différents intervenants. Généralement, une journée suffit pour doubler les rôles principaux dun épisode de 45 minutes, en sachant que les prises sont effectuées en moyenne trois fois. Mais le doublage ne se résume pas à la prise de son qui est précédée dun travail de préparation titanesque. Le doublage dun épisode est un travail minutieux qui se décompose en quatre étapes qui représentent autant de défis à relever. Lorsque le studio reçoit les épisodes à doubler, ils comportent deux bandes-sonores : la première comprend le son de lépisode dorigine alors que la seconde est dépouillée de tout dialogue. Le travail de détection peut commencer, il consiste à retranscrire lintégralité des dialogues sur une large bande opaque (la bande-mère). Outre les dialogues, sont également retranscrites les indications nécessaires aux comédiens (respirations, rires ) et les indications filmiques (changement de plan par exemple). Lorsque ce travail est achevé, ladaptateur entre en jeu pour accomplir le travail décriture, il inscrit la réplique traduite sous le texte en VO et doit donc logiquement faire preuve dune parfaite maîtrise du langage. Son rôle est évidemment des plus important et il rencontre de nombreuses difficultés dans sa tâche. Il lui faut trouver des mots correspondants aux mouvements de lèvres des personnages tout en conservant le ton de luvre originale et en veillant à ne pas en dénaturer lesprit. Il ne sagit pas dune simple traduction. Il faut ainsi cinq journées entières pour adapter un dialogue des Simpson. Cest seulement lorsque ce fastidieux travail est accompli que les comédiens de doublage entrent en scène pour lenregistrement des voix. Sil est possible de procéder à un montage, cest à dire ajuster à une ou deux images près les paroles aux mouvements de lèvres, cette opération est rarement effectuée pour les séries alors quelle intervient systématiquement pour les films diffusés au cinéma, cette différence sexpliquant essentiellement par de meilleurs délais et des moyens financiers plus importants. La dernière étape est le mixage. Les différentes bandes sonores sont mélangées et les différentes nuances sonores recrées. Certaines voix sont plus reconnaissables que d'autres, celle d'Edwige Lemoine par exemple qui restera pour moi associée au personnage de Chloé Sullivan, celle de Blanche Ravalec à Bree. Axel Kiener s'accorde parfaitement à la personnalité de Michael dans Prison Break. Le doublage fait forcément perdre une part démotion, dauthenticité. Mais le vrai défaut reste sans doute que les mêmes voix reviennent souvent pour le doublage de personnages aux personnalités foncièrement différentes. Jai limpression davoir un don pour reconnaître ses voix. Alors bien sûr, ça nest pas un don comme celui des Heroes qui va permettre de sauver le Monde, mais c'est plutôt déstabilisant d'entendre Susan de Desperate Housewives parler avec la voix de Buffy de Buffy ! Pour autant, le doublage français est de bonne qualité même sil peut être très inégal dune série à une autre. Le magazine Télé 2 semaines a récemment dressé un classement des meilleures versions françaises, en voici le détail (je pense tout de même quils auraient dû y faire figurer les Simpson qui na rien à envier à loriginale) :
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