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27 août 2008 3 27 /08 /août /2008 20:49

Le point commun, c’est Edwige Lemoine. Son nom ne vous est sans doute pas familier et pourtant vous connaissez certainement sa voix. Et pour cause : elle est comédienne de doublage. Si participer à cette sorte de « karaoké parlant » peut sembler facile au premier abord, il n’en est rien : être comédien de doublage, ça ne s’improvise pas ! Il faut être à même de lire ses répliques à mesure qu’elles défilent, tout en suivant l’action sur l’écran. « Le plus difficile est de bien coller à l’acteur, sur l’écran, explique Hedwige Lemoine. Il faut être synchro avec ses lèvres, et adopter son rythme de jeu, ce qui n’est pas facile étant donné que l’on doit mettre de côté son propre style. C’est un peu ingrat, après tout ! » S’il peut être difficile de faire passer une émotion en jouant une scène, on peut imaginer que la difficulté est d’autant plus grande lorsqu’il s’agit de recréer cette émotion en étant totalement coupé du contexte et qui plus est avec sa voix pour seul instrument. Voilà pourquoi les personnes qui prêtent leurs voix à nos chers héros sont avant tout des comédiens, choisis par les chaînes à l’issue d'un casting.

Pour Les Simpson par exemple, une vingtaine d’acteurs ont été auditionnés pour chacun des quatre rôles. Au final, Philippe Peythieu et Véronique Augereau ont été choisis, ils forment un couple à la ville comme à l’écran puisqu’ils prêtent leur voix à Homer et Marge. Lisa est doublée par Aurélia Bruno. Quant à Bart, c'est une femme qui est chargée de lui préter sa voix: Joëlle Guigui. Depuis 20 ans, ils prêtent leurs voix aux personnages jaunes et sont pour beaucoup dans le succès de la série en France.

Ce "métier de l'ombre" reste néanmoins à bien des égards particulièrement ingrat. Ainsi, il a fallu attendre 1995 et l’organisation d’une grève pour que les noms des comédiens de doublage soient indiqués aux génériques des séries dont ils font le succès. D’autre part, les salaires perçus par les voix françaises n'ont rien de comparable avec ceux des acteurs qu'ils doublent. On se souvient du remplacement de trois des six voix de Friends après que ceux-ci aient demandé une augmentation compte tenu des cachets astronomiques perçus par les acteurs américains (environ 1 million de dollars). Pour autant, les voix françaises constituent des identités fortes que les chaînes n’ont en aucun cas intérêt de changer.

Même si les versions françaises font régulièrement l’objet de vives critiques de la part de fervents défenseurs de la VO, il n’en reste pas moins que le doublage français est souvent considéré comme le meilleur du monde. Il faut dire qu’il existe en France une véritable culture du doublage. Car même si la tendance est à la généralisation de la version multilingue, les chaînes hertziennes restent fortement marquées par une tradition de diffusion en VF, à la différence d’autres pays comme l’Angleterre qui ont très peu recours au doublage. Le rapport Claude Thélot de l’Education Nationale semblait vouloir remettre en cause cette hégémonie en prévoyant purement et simplement l'abolition du doublage à la télévision en estimant que cette « simple mesure permettrait de faire progresser [la maîtrise de l'anglais] beaucoup plus vite que ne le peut l’Ecole seule. » Mais il semblerait que cette mesure très radicale ne soit plus guère d’actualité.

La qualité du doublage français tient également au savoir-faire des différents intervenants. Généralement, une journée suffit pour doubler les rôles principaux d’un épisode de 45 minutes, en sachant que les prises sont effectuées en moyenne trois fois. Mais le doublage ne se résume pas à la prise de son qui est précédée d’un travail de préparation titanesque. Le doublage d’un épisode est un travail minutieux qui se décompose en quatre étapes qui représentent autant de défis à relever.

Lorsque le studio reçoit les épisodes à doubler, ils comportent deux bandes-sonores : la première comprend le son de l’épisode d’origine alors que la seconde est dépouillée de tout dialogue. Le travail de détection peut commencer, il consiste à retranscrire l’intégralité des dialogues sur une large bande opaque (la bande-mère). Outre les dialogues, sont également retranscrites les indications nécessaires aux comédiens (respirations, rires…) et les indications filmiques (changement de plan par exemple).

Lorsque ce travail est achevé, l’adaptateur entre en jeu pour accomplir le travail d’écriture, il inscrit la réplique traduite sous le texte en VO et doit donc logiquement faire preuve d’une parfaite maîtrise du langage. Son rôle est évidemment des plus important et il rencontre de nombreuses difficultés dans sa tâche. Il lui faut trouver des mots correspondants aux mouvements de lèvres des personnages tout en conservant le ton de l’œuvre originale et en veillant à ne pas en dénaturer l’esprit. Il ne s’agit pas d’une simple traduction. Il faut ainsi cinq journées entières pour adapter un dialogue des Simpson.

C’est seulement lorsque ce fastidieux travail est accompli que les comédiens de doublage entrent en scène pour l’enregistrement des voix. S’il est possible de procéder à un montage, c’est à dire ajuster à une ou deux images près les paroles aux mouvements de lèvres, cette opération est rarement effectuée pour les séries alors qu’elle intervient systématiquement pour les films diffusés au cinéma, cette différence s’expliquant essentiellement par de meilleurs délais et des moyens financiers plus importants. La dernière étape est le mixage. Les différentes bandes sonores sont mélangées et les différentes nuances sonores recrées.

Certaines voix sont plus reconnaissables que d'autres, celle d'Edwige Lemoine par exemple qui restera pour moi associée au personnage de Chloé Sullivan, celle de Blanche Ravalec à Bree. Axel Kiener s'accorde parfaitement à la personnalité de Michael dans Prison Break. Le doublage fait forcément perdre une part d’émotion, d’authenticité. Mais le vrai défaut reste sans doute que les mêmes voix reviennent souvent pour le doublage de personnages aux personnalités foncièrement différentes. J’ai l’impression d’avoir un don pour reconnaître ses voix. Alors bien sûr, ça n’est pas un don comme celui des Heroes qui va permettre de sauver le Monde, mais c'est plutôt déstabilisant d'entendre Susan de Desperate Housewives parler avec la voix de Buffy de… Buffy !

Pour autant, le doublage français est de bonne qualité même s’il peut être très inégal d’une série à une autre. Le magazine Télé 2 semaines a récemment dressé un classement des meilleures versions françaises, en voici le détail (je pense tout de même qu’ils auraient dû y faire figurer les Simpson qui n’a rien à envier à l’originale) :

 

1. Grey’s Anatomy, un sans faute, la voix des comédiens doubleurs colle si harmonieusement à celle des personnages qu’on en oublie le timbre des acteurs.

2. Dr House, Hugh Laurie est la star de Dr House, fort logiquement, Féodor Atkine est la vedette de la VF. Il s’approprie brillamment le personnage malgré un timbre de voix différent.

3. Les Experts, la meilleure série de la franchise a aussi la meilleure VF. Dirigés par François Dunoyer, les doubleurs sont inspirés par la froideur et les fissures de leurs models.

4. The Shield, Restituer l’esprit « live » de cette série policière était une gageure. Le chef de plateau José Luccioni y est parvenu. Son casting voix est impeccable.

5. Scrubs, le doublage de Scrubs réussit parfois l’exploit d’être plus drôle que la version originale, ce qui est un cas unique dans la comédie.

 



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